Métabolisme des phosphates
Stratégies visant à réduire la phosphatémie dans la maladie rénale chroniqueStrategies aiming to control hyperphosphatemia in chronic kidney disease

https://doi.org/10.1016/j.nephro.2017.01.002Get rights and content

Résumé

La maladie rénale chronique est associée à une rétention de phosphate. Les mécanismes sont complexes et l’augmentation précoce de la phosphatémie, en cas de maladie rénale chronique, n’est pas strictement liée à la quantité de phosphate alimentaire ni au degré de rétention urinaire de phosphate. Elle implique également l’activité des cotransporteurs intestinaux de sodium–phosphate, le degré de remodelage osseux et la rétention et/ou la libération de phosphate de l’os, et les mécanismes de régulation de la phosphaturie. En effet, l’augmentation de la phosphatémie n’est qu’un reflet des mécanismes complexes sous-jacents, et de nombreux facteurs importants jouent un rôle, notamment l’hormone parathyroïdienne, la vitamine D, le fibroblast growth factor 23 (FGF23) et d’autres. L’hyperphosphatémie augmente le risque de morbidité et de mortalité cardiovasculaires dans la maladie rénale chronique ainsi que chez les sujets ayant une fonction rénale normale. Les chélateurs intestinaux de phosphate sont prescrits chez les patients atteints de maladie rénale chronique et chez les patients dialysés pour prévenir l’absorption intestinale du phosphate alimentaire et réduire la phosphatémie. Les études contrôlées montrent que tous les chélateurs intestinaux de phosphate diminuent la phosphatémie et s’associent à une réduction du risque de mortalité de toutes causes et de cause cardiovasculaire. Cependant, plusieurs problèmes peuvent être soulignés avec les chélateurs intestinaux de phosphate actuellement disponibles, y compris l’induction d’un bilan calcique positif et d’une augmentation du risque de calcification cardiovasculaire pour les chélateurs à base de calcium, ou des coûts excessifs avec des chélateurs sans calcium. Les chélateurs intestinaux de phosphate à base de fer représentent une nouvelle classe potentiellement intéressante. Le but de cet article est de fournir une mise à jour des mécanismes physiopathologiques conduisant et entretenant l’hyperphosphatémie sérique dans la maladie rénale chronique et chez les patients dialysés, ainsi que sur les stratégies éducatives, nutritionnelles et thérapeutiques qui peuvent être entreprises pour contrôler l’hyperphosphatémie.

Abstract

Chronic kidney disease is known to be associated with phosphate retention. The mechanisms are complex and the early increase in serum phosphate levels in chronic kidney disease is not strictly related to the dietary phosphate load or to the degree of phosphate retention. It also implicates the activity of intestinal sodium–phosphate cotransporters, the degree of bone turnover and the retention and/or phosphate release from the skeleton, and the feedback mechanisms regulating the phosphaturia. Indeed, the increase in serum phosphate levels is only a reflection of underlying complex mechanisms, and many important factors play a role including parathyroid hormone, vitamin D, fibroblast growth factor 23 (FGF23), and others. Hyperphosphatemia increases the risk of cardiovascular morbidity and mortality in chronic kidney disease as well as in subjects with normal renal function. Oral phosphate binders are prescribed in patients with chronic kidney disease and in those treated by dialysis, to prevent intestinal absorption of dietary phosphate and reduce serum phosphate. In prospective observational studies, they have been shown to decrease all-cause and cardiovascular mortality risk. However, different problems have been associated with currently available phosphate binders including the induction of a positive calcium balance and impaired outcomes with calcium-based phosphate binders or increased costs with non-calcium-based phosphate binders. Iron-based phosphate binders represent a new class of phosphate binders. The aim of this article is to provide an update review of the pathophysiological mechanisms leading and maintaining elevated serum phosphate levels in patients with chronic kidney disease and patients in dialysis, and the educational, nutritional, and therapeutic strategies that can be undertaken to control the hyperphosphatemia.

Introduction

Le phosphore est un anion essentiel pour de nombreux processus cellulaires, et notamment le métabolisme énergétique, la composition minérale du squelette, des membranes cellulaires et des acides nucléiques. La répartition du phosphate dans l’organisme est la suivante : 85 % dans l’os, 9 % dans le compartiment intracellulaire (avec une concentration de phosphate intracellulaire entre 80 et 120 mmol/L, proche de celle du potassium) et seulement 0,02 % dans le plasma (soit environ 130 mg). Cela présuppose donc une régulation extrêmement fine de la phosphatémie, impliquant notamment les trois hormones clés du métabolisme phosphocalciques que sont l’hormone parathyroïdienne (ou parathormone), la vitamine D et le fibroblast growth factor 23 (FGF23), liées entre elles par des boucles de régulation multiples et complexes [1]. Cette régulation est tellement importante qu’il existe des données cliniques et génétiques supportant l’hypothèse que le phosphate joue un rôle clé dans le vieillissement rapide associé à la l’insuffisance rénale chronique. En effet, le phosphate impacte le métabolisme glucidique et le stress oxidative, deux mécanismes étroitement impliqués dans le processus de vieillissement dans tout le règne animal. Chez les mammifères, il a été démontré une corrélation négative entre la longévité et la phosphatémie [2], [3].

La progression de la maladie rénale chronique entraîne l’altération des différentes fonctions rénales et l’apparition de nombreuses complications dont les troubles du métabolisme minéral et osseux, responsables en partie de l’augmentation du risque de morbidité et mortalité cardiovasculaire [4]. Si l’hyperparathyroïdie secondaire est précoce est presque constante, l’hyperphosphatémie, directement toxique pour l’endothélium et les vaisseaux sanguins, survient tardivement et les deux favorisent les calcifications vasculaires et augmentent le risque de mortalité [5]. Cela, aussi bien dans la population générale que chez les patients avec maladie rénale chronique. L’hormone parathyroïdienne et le FGF23 diminuent l’expression et la fonction des deux transporteurs tubulaires de phosphate NPT2a et NPT2c et permettent aux stades précoces de la maladie rénale chronique de maintenir l’excrétion rénale des phosphates malgré la baisse du débit de filtration glomérulaire. Or ces deux hormones ont des effets rénaux opposés vis-à-vis de la vitamine D, le FGF23 inhibe la 1α-hydroxylase et la synthèse de vitamine D active ou calcitriol alors que l’hormone parathyroïdienne l’en stimule. On pourrait en déduire de cela que le FGF23 pourrait avoir un impact supérieur à celui de l’hormone parathyroïdienne dans la régulation de la phosphatémie puisqu’il diminue indirectement l’absorption intestinale de phosphate en plus de la réabsorption tubulaire rénale. La diminution de l’expression et la production rénale de klotho, le cofacteur du récepteur de FGF23, rend le tubule rénal proximal résistant à l’action phosphaturiante du FGF23 [6]. Il est de même avec l’action tubulaire de l’hormone parathyroïdienne, laquelle se retrouve limitée en raison de la down-regulation de son récepteur de type I dans les cellules tubulaires rénales [7].

Aux stades avancés de la maladie rénale chronique et surtout chez les sujets dialysés, l’hyperphosphatémie est une complication courante [4], [5]. Le dernier rapport trimestriel de l’United States Renal Data System (USRDS) a confirmé que la phosphatémie chez les patients dialysés était élevée (supérieure à 1,45 mM) chez un tiers d’entre eux (34 %), normale chez 50 à 60 % et basse chez 10 à 15 % des patients. Cette distribution est restée sensiblement inchangée depuis les deux dernières décennies malgré l’énorme développement de l’arsenal thérapeutique dans ce domaine, notamment avec l’advenue des chélateurs intestinaux de phosphate sans calcium, à base de lanthane ou de fer, des calcimimétiques et des activateurs du récepteur de la vitamine D moins hyperphosphatémiant [8]. Ce qui laisse supposer que les mécanismes physiopathologiques impliqués dans la genèse et la persistance de l’hyperphosphatémie dans ce tiers des patients n’est pas totalement comprise, sans éliminer également la part non négligeable de la non-observance thérapeutique.

L’association entre phosphatémie et risque de mortalité chez les patients atteints de maladie rénale chronique traités par dialyse suit une courbe en U, comme illustré par les analyses de la cohorte DOPPS. Les phosphatémie les plus basses (inférieures à 1,00 mM) et les plus hautes (supérieures à 1,45 mM) augmentent le risque de mortalité de toutes causes et de causes cardiovasculaires [9], [10]. Mais, un autre phénomène demande une attention particulière, il s’agit de l’évolution de la phosphatémie dans le temps car elle semble déterminante de la survie. Dans l’étude européenne prospective observationnelle « Current management of secondary hyperparathyroidism – a multicentre observational study » (COSMOS), si la phosphatémie augmentait en cours de suivi alors qu’elle était normale à l’inclusion, le risque de mortalité augmentait, or si la phosphatémie diminue pendant l’étude alors qu’elle était haute à l’inclusion, le risque de mortalité cardiovasculaire diminuera de 10 à 15 %. En revanche, dans le groupe à phosphatémie normale à l’inclusion, si la phosphatémie baissait encore en dessous des valeurs normales pendant le suivi, le risque de mortalité inéluctablement augmentait, témoignant certainement d’un déficit nutritionnel [11].

Le contrôle de la phosphatémie, voire sa normalisation, est par conséquent un élément majeur dans la prise en charge précoce des troubles du métabolisme minéral et osseux de maladie rénale chronique. Depuis 2009, les nouvelles recommandations internationales Kidney Disease Improving Global Outcomes (KDIGO) ne parlent plus de cible de phosphatémie mais de « tendre vers la normalité de la phosphatémie, ni de la mesure de la concentration circulante du produit phosphocalcique (CaxP) » [12]. Elles suggèrent que la correction de la phosphatémie soit par des mesures diététiques, soit par les chélateurs intestinaux de phosphate ou soit par les inhibiteurs de l’absorption intestinale de phosphate pourrait potentiellement améliorer la survie des patients en dialyse, mais aucune étude randomisée et contrôlée ne l’a, pour l’instant, démontré. Les recommandations KDIGO, dans leur dernière version de 2016, soulignent aussi qu’il faudrait tenir compte des autres éléments des troubles du métabolisme minéral et osseux de la maladie rénale chronique tels que la présence ou l’absence de calcifications cardiovasculaires et/ou des troubles du remodelage osseux dans la décision du type de chélateur intestinal de phosphate qui serait prescrit pour un patient donné [12].

Section snippets

Stratégies pour contrôler la phosphatémie

Cependant, lorsque les malades atteints de maladie rénale chronique arrivent au stade de l’épuration extrarénale, le contrôle de la phosphatémie repose sur plusieurs mesures :

  • le contrôle de l’hormone parathyroïdienne et du remodelage osseux ;

  • le contrôle de l’acidose métabolique, de l’hyperglycémie et des échanges intercompartimentaux de phosphate ;

  • l’optimisation de l’élimination de phosphate par la dialyse ;

  • la réduction des aliments riches en phosphates ;

  • le blocage du transport intestinal de

Conclusion et perspectives

Un schéma thérapeutique pour la prescription des chélateurs intestinaux du phosphate dans la prise en charge de l’hyperphosphatémie peut être ainsi proposé (Tableau 1) : débuter par un chélateur à base de calcium si la calcémie, l’hormone parathyroïdienne et l’absence de calcification cardiovasculaire le permettent, sans dépasser 1,5 à 2 g de calcium élément par jour. En cas d’insuffisance d’efficacité, il convient, soit de rajouter un chélateur non calcique au chélateur calcique, soit de

Financements

Financements pour la recherche clinique par les laboratoires Abbvie, Amgen, Fresenius, Hémotech, Sanofi-Aventis, Vitor-Pharma.

Déclaration de liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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