Métabolisme des phosphatesStratégies visant à réduire la phosphatémie dans la maladie rénale chroniqueStrategies aiming to control hyperphosphatemia in chronic kidney disease
Introduction
Le phosphore est un anion essentiel pour de nombreux processus cellulaires, et notamment le métabolisme énergétique, la composition minérale du squelette, des membranes cellulaires et des acides nucléiques. La répartition du phosphate dans l’organisme est la suivante : 85 % dans l’os, 9 % dans le compartiment intracellulaire (avec une concentration de phosphate intracellulaire entre 80 et 120 mmol/L, proche de celle du potassium) et seulement 0,02 % dans le plasma (soit environ 130 mg). Cela présuppose donc une régulation extrêmement fine de la phosphatémie, impliquant notamment les trois hormones clés du métabolisme phosphocalciques que sont l’hormone parathyroïdienne (ou parathormone), la vitamine D et le fibroblast growth factor 23 (FGF23), liées entre elles par des boucles de régulation multiples et complexes [1]. Cette régulation est tellement importante qu’il existe des données cliniques et génétiques supportant l’hypothèse que le phosphate joue un rôle clé dans le vieillissement rapide associé à la l’insuffisance rénale chronique. En effet, le phosphate impacte le métabolisme glucidique et le stress oxidative, deux mécanismes étroitement impliqués dans le processus de vieillissement dans tout le règne animal. Chez les mammifères, il a été démontré une corrélation négative entre la longévité et la phosphatémie [2], [3].
La progression de la maladie rénale chronique entraîne l’altération des différentes fonctions rénales et l’apparition de nombreuses complications dont les troubles du métabolisme minéral et osseux, responsables en partie de l’augmentation du risque de morbidité et mortalité cardiovasculaire [4]. Si l’hyperparathyroïdie secondaire est précoce est presque constante, l’hyperphosphatémie, directement toxique pour l’endothélium et les vaisseaux sanguins, survient tardivement et les deux favorisent les calcifications vasculaires et augmentent le risque de mortalité [5]. Cela, aussi bien dans la population générale que chez les patients avec maladie rénale chronique. L’hormone parathyroïdienne et le FGF23 diminuent l’expression et la fonction des deux transporteurs tubulaires de phosphate NPT2a et NPT2c et permettent aux stades précoces de la maladie rénale chronique de maintenir l’excrétion rénale des phosphates malgré la baisse du débit de filtration glomérulaire. Or ces deux hormones ont des effets rénaux opposés vis-à-vis de la vitamine D, le FGF23 inhibe la 1α-hydroxylase et la synthèse de vitamine D active ou calcitriol alors que l’hormone parathyroïdienne l’en stimule. On pourrait en déduire de cela que le FGF23 pourrait avoir un impact supérieur à celui de l’hormone parathyroïdienne dans la régulation de la phosphatémie puisqu’il diminue indirectement l’absorption intestinale de phosphate en plus de la réabsorption tubulaire rénale. La diminution de l’expression et la production rénale de klotho, le cofacteur du récepteur de FGF23, rend le tubule rénal proximal résistant à l’action phosphaturiante du FGF23 [6]. Il est de même avec l’action tubulaire de l’hormone parathyroïdienne, laquelle se retrouve limitée en raison de la down-regulation de son récepteur de type I dans les cellules tubulaires rénales [7].
Aux stades avancés de la maladie rénale chronique et surtout chez les sujets dialysés, l’hyperphosphatémie est une complication courante [4], [5]. Le dernier rapport trimestriel de l’United States Renal Data System (USRDS) a confirmé que la phosphatémie chez les patients dialysés était élevée (supérieure à 1,45 mM) chez un tiers d’entre eux (34 %), normale chez 50 à 60 % et basse chez 10 à 15 % des patients. Cette distribution est restée sensiblement inchangée depuis les deux dernières décennies malgré l’énorme développement de l’arsenal thérapeutique dans ce domaine, notamment avec l’advenue des chélateurs intestinaux de phosphate sans calcium, à base de lanthane ou de fer, des calcimimétiques et des activateurs du récepteur de la vitamine D moins hyperphosphatémiant [8]. Ce qui laisse supposer que les mécanismes physiopathologiques impliqués dans la genèse et la persistance de l’hyperphosphatémie dans ce tiers des patients n’est pas totalement comprise, sans éliminer également la part non négligeable de la non-observance thérapeutique.
L’association entre phosphatémie et risque de mortalité chez les patients atteints de maladie rénale chronique traités par dialyse suit une courbe en U, comme illustré par les analyses de la cohorte DOPPS. Les phosphatémie les plus basses (inférieures à 1,00 mM) et les plus hautes (supérieures à 1,45 mM) augmentent le risque de mortalité de toutes causes et de causes cardiovasculaires [9], [10]. Mais, un autre phénomène demande une attention particulière, il s’agit de l’évolution de la phosphatémie dans le temps car elle semble déterminante de la survie. Dans l’étude européenne prospective observationnelle « Current management of secondary hyperparathyroidism – a multicentre observational study » (COSMOS), si la phosphatémie augmentait en cours de suivi alors qu’elle était normale à l’inclusion, le risque de mortalité augmentait, or si la phosphatémie diminue pendant l’étude alors qu’elle était haute à l’inclusion, le risque de mortalité cardiovasculaire diminuera de 10 à 15 %. En revanche, dans le groupe à phosphatémie normale à l’inclusion, si la phosphatémie baissait encore en dessous des valeurs normales pendant le suivi, le risque de mortalité inéluctablement augmentait, témoignant certainement d’un déficit nutritionnel [11].
Le contrôle de la phosphatémie, voire sa normalisation, est par conséquent un élément majeur dans la prise en charge précoce des troubles du métabolisme minéral et osseux de maladie rénale chronique. Depuis 2009, les nouvelles recommandations internationales Kidney Disease Improving Global Outcomes (KDIGO) ne parlent plus de cible de phosphatémie mais de « tendre vers la normalité de la phosphatémie, ni de la mesure de la concentration circulante du produit phosphocalcique (CaxP) » [12]. Elles suggèrent que la correction de la phosphatémie soit par des mesures diététiques, soit par les chélateurs intestinaux de phosphate ou soit par les inhibiteurs de l’absorption intestinale de phosphate pourrait potentiellement améliorer la survie des patients en dialyse, mais aucune étude randomisée et contrôlée ne l’a, pour l’instant, démontré. Les recommandations KDIGO, dans leur dernière version de 2016, soulignent aussi qu’il faudrait tenir compte des autres éléments des troubles du métabolisme minéral et osseux de la maladie rénale chronique tels que la présence ou l’absence de calcifications cardiovasculaires et/ou des troubles du remodelage osseux dans la décision du type de chélateur intestinal de phosphate qui serait prescrit pour un patient donné [12].
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Stratégies pour contrôler la phosphatémie
Cependant, lorsque les malades atteints de maladie rénale chronique arrivent au stade de l’épuration extrarénale, le contrôle de la phosphatémie repose sur plusieurs mesures :
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le contrôle de l’hormone parathyroïdienne et du remodelage osseux ;
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le contrôle de l’acidose métabolique, de l’hyperglycémie et des échanges intercompartimentaux de phosphate ;
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l’optimisation de l’élimination de phosphate par la dialyse ;
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la réduction des aliments riches en phosphates ;
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le blocage du transport intestinal de
Conclusion et perspectives
Un schéma thérapeutique pour la prescription des chélateurs intestinaux du phosphate dans la prise en charge de l’hyperphosphatémie peut être ainsi proposé (Tableau 1) : débuter par un chélateur à base de calcium si la calcémie, l’hormone parathyroïdienne et l’absence de calcification cardiovasculaire le permettent, sans dépasser 1,5 à 2 g de calcium élément par jour. En cas d’insuffisance d’efficacité, il convient, soit de rajouter un chélateur non calcique au chélateur calcique, soit de
Financements
Financements pour la recherche clinique par les laboratoires Abbvie, Amgen, Fresenius, Hémotech, Sanofi-Aventis, Vitor-Pharma.
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références (40)
- et al.
Three feedback loops precisely regulating serum phosphate concentration
Kidney Int
(2011) A potential link between phosphate and aging – lessons from Klotho-deficient mice
Mech Ageing Dev
(2010)- et al.
The renal PTH/PTHrP receptor is down-regulated in rats with chronic renal failure
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(1994) - et al.
The Dialysis Outcomes and Practice Patterns Study (DOPPS) and the Kidney Disease Outcomes Quality Initiative (K/DOQI): a cooperative initiative to improve outcomes for hemodialysis patients worldwide
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(2004) - et al.
Mortality risk for dialysis patients with different levels of serum calcium, phosphorus, and PTH: the Dialysis Outcomes and Practice Patterns Study (DOPPS)
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Short-term effects of parathyroidectomy on plasma biochemistry in chronic uremia
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Disorders of phosphate metabolism – pathomechanisms and management of hypophosphataemic disorders
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Let them eat during dialysis: an overlooked opportunity to improve outcomes in maintenance hemodialysis patients
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Management of protein-energy wasting in non-dialysis-dependent chronic kidney disease: reconciling low protein intake with nutritional therapy
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High dietary phosphorus intake is associated with all-cause mortality: results from NHANES III
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(2014)